mercredi 31 octobre 2012

D'un ennui mortel



D’aussi loin que je me souvienne, je ne me suis jamais étonnée de rien. Je ne me suis pas étonnée, à dix ans, lorsqu’on m’a annoncé la mort de ma mère suite à une séance de strangulation qui a mal tourné avec son amant. Ce dernier, pour me consoler, a bien tenté de m’enseigner quelques culbutes sexuellement grotesques, mais voyant que cela m’emmerdait royalement, il s’est lassé. Ça a pris deux semaines à mon père, ce vieil alcoolique fini, avant de s’apercevoir que nous étions désormais seuls tous les deux. Ensemble, mais séparés par un gouffre infini de silence que ni lui ni moi n’avait le courage de traverser.

À l’école, j’étais ce soupir bien entendu dans le fond de la classe, ce fantôme bien réel que vous ne vouliez pas voir. Les situations sociales me lassaient. Ces conversations vides de sens, superficielles, avec des gens que l’on côtoie tous les jours mais qui au fond, nous sont bien étrangers. Personne ne veut vraiment connaître quelqu’un. Cela nous amènerait à revoir nos perceptions préconçues, à accepter que les gens ne sont pas tels qu’on croit et à les apprécier malgré leurs faiblesses, pourtant si propres à l’être humain. Ça demande bien trop d’efforts. On abandonne même l’idée de se comprendre soi-même et on achète à très bas prix l’auto-perception qui nous sied le mieux. Des artisans de la supercherie la plus commune qui soit.

Mon travail hautement blasant de commis de plancher pour une grande surface n’a permis que de me faire détester encore plus cette vie désabusée que je m’étais fait mienne. Que j’avais construit pièce par pièce, en choisissant les teintes de gris qui allaient orner mon désespoir.

J’ai voyagé, mais toutes les attractions touristiques que je visitais étaient plus laides que les photographies que j’avais pu voir dans les livres. Même seule au bout du monde, je me sentais terriblement morose. Et je revenais encore plus découragée que jamais dans mon confort industrialisé. Comme si ces voyages à l'extérieur du pays me ramenaient au plus profond de moi-même, dans mon coeur gris et désert où rien ne bat plus. Où je ne me bats plus.

J’ai essayé toutes sortes de drogues, histoire de planer un peu et de sortir de mon marasme. Aucun effet, ou si peu. Ça ne m’a pas impressionnée. Je me suis endormie en fumant de la marijuana. J’ai liché les oreilles de mon chat en gobant de l’ecstasy. En fait, j’ai pas de chat; j’ai liché mon oreiller. J’ai parlé pendant huit heures de ma lassitude à des inconnus après avoir consommé du speed. Et j’ai pris de la coke, mais j’ai juste saigné du nez.

Alors, je me suis mise à boire, comme papa. L’alcool engourdissait mes sens et je sentais encore moins quelque chose. En fait, je sentais même plus que je ne sentais rien. L’anhédonie à son paroxysme. Du matin jusqu’au soir, sans m’arrêter pour manger. De toute façon, plus rien ne m’apparaissait appétissant.

Et puis, mon père est mort d’une cirrhose du foie très prévisible. Moi, j’ai eu un gros rhume. Depuis ce temps, j’ai de la morve au cœur. Un rhume qui ne guérit pas, le mucus mortel d’une cruelle langueur. Ce poison que j’avais au cœur m’empêchait de ne rien ressentir. Alors, j’ai bu davantage. Du gros Jack sale. Ça n’a pas fonctionné. Une fois l’engourdissement passé, je me retrouvais à nouveau prisonnière de ma toile de morve sentimentale. Et ça m’écœurait. Devant l’immensité du vide chronique qui accablait mes jours, je me suis faite toute petite. Je me suis faite poussière, d’un seul coup de revolver.

Je contemple, dans ma nouvelle vie en points de suspension, ces gens qui comme moi, comme vous peut-être, vivent des vies de misère. J’essaie de leur donner des raisons de continuer. C’est moi, ce sourire chaleureux lors des matins sans éclaircies. Cet ami qui vous appelle au moment où vous vous y attendez le moins. Ce psychologue qui vous veut du bien. Ces parents qui font tout pour leur enfant qui vit un moment difficile. Je suis votre dernier espoir.

Parfois, on n’est jamais aussi vivant que lorsqu’on est mort.

lundi 17 janvier 2011

L'homme défectueux

Louisiane, fin des années 50.

Max Derouen est un petit garçon de dix ans des plus ordinaires. Cheveux bruns, yeux bruns, taille moyenne, morphologie commune, rien qui puisse vraiment le distinguer de ses camarades de classe. Même pas un léger strabisme, un tic nerveux notable ou des notes exemplaires. Fils d’un garde-forestier n’aimant pas particulièrement les animaux et d’une mère peu éduquée, mais dévouée pour ses six enfants. Un enfant du bayou. Sans histoire. Un matin de mai, pourtant, la vie de Max Derouen changa à jamais. Le jeune Max, alors qu’il aidait son père à garde-forester la forêt, n’avait pas vu l’immense feuillu qu’abattait non loin de lui deux hommes bien bâtis. Niiiiaaaaahhhpoooooow! L’arbre flancha et trouva comme cible facile le petit Max, qui ne se doutait de rien, occupé qu’il était à chasser les papillons. Diagnostic : Lésion cérébrale. Soulagement; Max était vivant. Sans séquelles apparentes. Il prit un mois à prendre du mieux à la maison, sous les bons soins de sa mère, et pu retourner à l’école, comme si rien ne s’était produit. Pourtant, quelque chose avait changé. Max s’en aperçut lorsque le gros Edmund lui envoya un ballon en pleine figure. Il cria « Aie », par habitude, mais eu tôt fait de constater que, même si son nez était ensanglanté, il n’avait pas mal. Aucune douleur. Il trouva cela plutôt étrange, mais se considéra avant tout chanceux, car le gros Edmund lançait de tels boulets qu’il fut bien content de ne pas avoir eu à se tordre de douleur devant ses camarades. Ceux-ci n’avaient pas remarqué sa réaction, trop occupés à jouer. Un doute planait cependant dans sa tête, il fallait vérifier. Ce soir-là, de retour à la maison, Max se rendit dans le cabanon, où son père rangeait ses outils et s’assena un coup de marteau sur la main gauche et attendit sa propre réaction. Rien. Il avait bien senti le lourd marteau s’écraser sur sa petite main, mais n’avait ressenti aucune douleur. Il était mystifié. Était-il devenu Superman ? Il poussa plus loin sa vérification. Coup de couteau dans la cuisse, se mordre la langue, se pincer les mamelons, rien n’y fit. Son cerveau n’enregistrait plus la douleur. Lorsqu’il rentra, sa mère fut horrifiée de le trouver dans un tel état, croyant qu’il avait rencontré une bête féroce à l’orée de la forêt. Max acquiesça en ce sens, il ne voulait pas inquiéter sa mère avec ses nouveaux super-pouvoirs. À l’école, il mettait au défi ses camarades de lui faire subir les pires tortures. Crunchie, bedaine bleue, se faire éclater les jointures avec des sous noirs, tout y passait. Et personne ne comprenait pourquoi il voulait tant avoir mal. Personne ne savait qu’il était un super-héros. Mais les gens finir par se lasser. Et Max grandit.

À 40 ans, garde-forestier comme son père, il était un homme aigri. À force ne pas ressentir la douleur, Max ne ressentait plus grand-chose. Les femmes ne l’intéressaient plus, il ne pouvait que se procurer une pâle copie de ce qu’est l’orgasme masculin. La violence à la télé, les films d’amour, ne suscitait absolument rien chez lui. Lorsque son histoire avait fait les manchettes, son secret finalement dévoilé par un soi-disant ami-reporter, adepte du sensationnalisme, la CIA avait bien tenté de le recruter pour certaines missions périlleuses. Mais Max n’en voyait pas l’intérêt. Il s’était lui aussi lassé de ses années à jouer les super-héros et avait vite compris qu’il était atteint d’une maladie, et non pas l’élu d’un super-pouvoir. Ses rêves de jeune garçon ordinaire envolés d’un seul coup.

Une seule chose le sortait parfois de sa torpeur. Une seule chose le rendait à nouveau vivant, à nouveau humain. Lorsque Max en avait assez de sa vie de robot, il se tournait vers cette ultime solution, où pendant un moment, il vivait pleinement. Un grand verre de Tabasco. Remède-miracle. Le Tabasco réussissait à susciter une particule de douleur sur sa langue et dans son œsophage. Max était comblé. Il ressentait quelque chose, toussant parfois tellement le breuvage était épicé. Lorsqu’il vidait son verre, des larmes de joie coulaient sur ses joues. Il aurait voulu boire du Tabasco pour toujours. Qu’importent les brûlements d’estomac, il ne les sentait pas de toute façon. Dans ces moments-là, au moins, il était heureux.

Et ROUGE.

vendredi 10 décembre 2010

Je me suis rasée la tête

Je me suis rasée la tête. J'en avais plus qu'assez de devoir à tout prix correspondre aux critères de beauté établis par notre beau monde moderne. Moderne Terne, plutôt. Je voulais sortir du lot, combattre à grands coups de rasoir nos conventions sociales superficielles. Et schlack ! De ce sempiternel acharnement sur les femmes de tout acabit. De cette pression sociale dictée de main de maître par le Vogue Magazine et de leurs pâles copies. J'en avais plus qu'assez de payer de faramineuses sommes pour la dernière coupe de cheveux à la mode. Ma coiffeuse ne pourra plus aller se pavaner, quatre fois par année, dans un de ces pays aux paysages paradisiaques, mais où les habitants ne mangent pas à leur faim. Où leurs cheveux ne leur servent qu'à se protéger du soleil et de ses rayons trop ardents. Je perds beaucoup moins de temps dans la douche, ou encore à lisser soigneusement ma crinière, encore et encore, pour une coiffure plus que parfaite. Mon crâne est désormais aussi doux qu'une langue de chat. Voulez-vous y toucher ?

Je sais, vous ne comprenez pas pourquoi je me suis débarrassée de mes longs et soyeux cheveux couleur ébène. Vous me trouvez un peu moins féminine, mais je me fous de ce que pensez. Mon copain a également de la difficulté à s'en accommoder. Il a l'impression de faire l'amour à une poupée Bout'choux dont le sexe serait indéfini. Il ne me touche presque plus et peine à me regarder dans les yeux. Je ne vous cacherai pas que notre relation bat de l'aile, mais notre éloignement remonte probablement à bien avant que je ne rase ma chevelure noire. Je suis encore une femme, pourtant. Un peu moins en dehors, toujours autant en dedans. Tant pis pour lui. Je me suis rasée la tête par ennui.

Je me suis rasée la tête, pour qu'on voit enfin mes yeux. Sous ma grosse touffe, l'essence de ceux-ci se perdaient. Ils peuvent à nouveau respirer, comme lorsque j'étais enfant. Je me suis rasée la tête, pour justement renaître. Renaître avec l'envie de tout faire autrement. De me rappeler que petite, je rêvais de voler au dessus des nuages, sur le dos de Dumbo, sur un tapis volant, dans un avion en papier. Toucher les nuages, plonger tête première dans un cumulonimbus. Bref, de vivre pleinement cette exaltante liberté. Petite, je voulais être pilote d'avion, parcourir le monde et le découvrir à chaque fois comme si c'était la première fois. Je me suis rasée la tête pour que rien ne m'en empêche. Comme ça, je serai plus aérodynamique pour me propulser au-delà de mes rêves.

Enfin, je me suis rasée la tête pour que vous ne vous aperceviez de rien. Je me suis rasée la tête pour que personne ne se rende compte que, un à un, mes cheveux tombent. Que bientôt, à cause de la chimio, il ne m'en restera plus. Que vous voyiez mon crâne dégarni. Décrépi. Décrépitude incensée d'une vie trop immature pour nous quitter. Je me suis rasée la tête, pour ne pas me faire plaindre. Je ne veux pas qu'on s'appitoie sur mon sort. Je suis forte. On ne me verra pas vulnérable. Jamais. Même si je suis seule dans mon secret trop lourd à porter. Vous ne me verrez pas m'effondrer. Sauf à la fin. Et alors, vous saurez tout.

lundi 28 juin 2010

La sexualité ambigüe des étoiles de mer

Il était une fois une étoile de mer qui rêvait de devenir une célèbre ballerine. Malheureusement, elle ne savait sur quel pied danser et paraissait plus souvent qu'autrement d'une maladresse inégalée. Poussée par son rêve, elle se fit repêcher dans l'eau par les Sharks de San José, qui l'aidèrent à mener une vie sur terre. L'étoile de mer troqua ses petites ballerines pour des patins de grandeur neuf et devient une des meilleures joueuses de la NHL. Elle ne savait peut-être pas danser, mais elle s'était découvert un coup de patin sans pareil. Elle s'appelait Jonathan Cheechoo.

mardi 18 mai 2010

Tic Tac BOUM

Tu mènes ta vie au son de ton horloge biologique, mais tu devrais davantage suivre les battements de ton coeur.

Tu ne voudrais pas que ton enfant ressemble à un porte-poussière, hein ?

vendredi 19 mars 2010

Jocelyn Carignan

Pour Pâques, je rêve d'un petit poussin, répondant au doux nom de Jocelyn Carignan. Il serait tout jaune (évidemment) et un peu coquet. Il développerait une relation amoureuse avec René-Pierre Ferland, le caneton en plastique trônant près de la baignoire et auraient ensemble une portée de huit Mighty Ducks. Jocelyn Carignan connaitrait une fin tragique où, rendu à la période ingrate qu'est l'adolescence (très ravageuse chez les poussins), il sera rôti et puis dégusté par moi-même lors d'un repas festif.

Malheureusement, comme je n'ai pas les capacités requises pour accoucher d'un petit poussin (enfin, je crois), il me fallait une autre alternative : le chicknapper à la ferme de Pâques du centre d'achats. Ça n'allait pas être facile, il y avait beaucoup de monde. Il ne fallait surtout pas que j'attire l'attention. Incognito. Ne traverse pas la clôture de la ferme de Pâques qui veut. Jocelyn Carignan se camouflait bien à travers ses frères, dans une espèce de maison pour poussins. Je l'ai vite reconnu, avec ses longs cils et la façon bien distinctive qu'il avait de pencher sa tête sur le côté. J'y étais presque. J'allais m'emparer de lui quand j'ai senti qu'on m'agrippait férocement par le pantalon; l'agent de sécurité avait l'air plutôt mécontent. Encore plus lorsque j'ai tenté de lui expliquer l'histoire de Jocelyn Carignan. Son regard consterné me témoignait à quel point il me jugeait. Énormément. Il m'a fortement suggéré de ne plus m'approcher de la ferme de Pâques, parce que je faisais peur aux enfants avec l'idée qu'un poussin pouvait avoir un nom complet et une personnalité bien distincte. Un agent de sécurité beige, champion national du froncement de sourcils. Résultat : Jocelyn Carignan ne pourra pas faire la connaissance de René-Pierre Ferland. Leur histoire est un non-évènement, comme c'est souvent le cas dans le monde des volailles. Laissons-les exister. Et moi, je ne mangerai plus d'oeufs, pour éviter que Gaston Trudel soit lui aussi, un non-évènement.

lundi 8 février 2010

Pistolets épistolaires


J'aurais aimé vivre au temps où l'on dégainait des missives enflammées à de lointains correspondants. Au temps où on s'asseyait bien tranquille, sur le coin d'un pupitre, et qu'on s'appliquait à écrire à quiconque des heures durant. La correspondance épistolaire s'est perdue au fil du temps et j'en suis bien navrée. Plus personne ne prend le temps de s'écrire ce qu'il ressent vraiment, avec tout le recul qu'une lettre bien rédigée peu apporter. Jouer avec les mots et langue française pour faire de notre lettre une chanson en papier. Quelques lignes dans un courriel brisent toute la magie d'un seul clic de souris. C'est facile. Plus personne ne liche d'enveloppe, plus personne ne se déliche d'une lettre si attendue. La messagerie instantanée, notre attention divisée entre six destinataires. La vie de 377 personnes étalée sur un réseau social. Plus rien d'inattendu, à l'ère de l'express-communication. Et pourtant, j'ai jamais vu les gens être aussi peu écoutés.

Le gentil facteur qui ne voit que la moue des gens qui ouvrent leur boîte aux lettres, déçus de n'y découvrir que de trop lourdes factures. Aucune lettre avec le sceau d'une royauté oubliée ou inexistante. Aucune lettre d'un lointain cousin, d'un amoureux timide, d'une princesse inconnue.

En même temps, quiconque découvrirait une lettre écrite à la main dans sa boîte aux lettres, trouverait ça affreusement dépassé et serait sceptique quant à la santé mentale du correspondant. Ou quant à sa qualité de voyageur temporel. Une lettre de Doc Brown entrainerait une symphonie de froncement de sourcils.

J'aimerais bien que Doc Brown m'écrive du fin fond du Far West, moi.