vendredi 10 décembre 2010

Je me suis rasée la tête

Je me suis rasée la tête. J'en avais plus qu'assez de devoir à tout prix correspondre aux critères de beauté établis par notre beau monde moderne. Moderne Terne, plutôt. Je voulais sortir du lot, combattre à grands coups de rasoir nos conventions sociales superficielles. Et schlack ! De ce sempiternel acharnement sur les femmes de tout acabit. De cette pression sociale dictée de main de maître par le Vogue Magazine et de leurs pâles copies. J'en avais plus qu'assez de payer de faramineuses sommes pour la dernière coupe de cheveux à la mode. Ma coiffeuse ne pourra plus aller se pavaner, quatre fois par année, dans un de ces pays aux paysages paradisiaques, mais où les habitants ne mangent pas à leur faim. Où leurs cheveux ne leur servent qu'à se protéger du soleil et de ses rayons trop ardents. Je perds beaucoup moins de temps dans la douche, ou encore à lisser soigneusement ma crinière, encore et encore, pour une coiffure plus que parfaite. Mon crâne est désormais aussi doux qu'une langue de chat. Voulez-vous y toucher ?

Je sais, vous ne comprenez pas pourquoi je me suis débarrassée de mes longs et soyeux cheveux couleur ébène. Vous me trouvez un peu moins féminine, mais je me fous de ce que pensez. Mon copain a également de la difficulté à s'en accommoder. Il a l'impression de faire l'amour à une poupée Bout'choux dont le sexe serait indéfini. Il ne me touche presque plus et peine à me regarder dans les yeux. Je ne vous cacherai pas que notre relation bat de l'aile, mais notre éloignement remonte probablement à bien avant que je ne rase ma chevelure noire. Je suis encore une femme, pourtant. Un peu moins en dehors, toujours autant en dedans. Tant pis pour lui. Je me suis rasée la tête par ennui.

Je me suis rasée la tête, pour qu'on voit enfin mes yeux. Sous ma grosse touffe, l'essence de ceux-ci se perdaient. Ils peuvent à nouveau respirer, comme lorsque j'étais enfant. Je me suis rasée la tête, pour justement renaître. Renaître avec l'envie de tout faire autrement. De me rappeler que petite, je rêvais de voler au dessus des nuages, sur le dos de Dumbo, sur un tapis volant, dans un avion en papier. Toucher les nuages, plonger tête première dans un cumulonimbus. Bref, de vivre pleinement cette exaltante liberté. Petite, je voulais être pilote d'avion, parcourir le monde et le découvrir à chaque fois comme si c'était la première fois. Je me suis rasée la tête pour que rien ne m'en empêche. Comme ça, je serai plus aérodynamique pour me propulser au-delà de mes rêves.

Enfin, je me suis rasée la tête pour que vous ne vous aperceviez de rien. Je me suis rasée la tête pour que personne ne se rende compte que, un à un, mes cheveux tombent. Que bientôt, à cause de la chimio, il ne m'en restera plus. Que vous voyiez mon crâne dégarni. Décrépi. Décrépitude incensée d'une vie trop immature pour nous quitter. Je me suis rasée la tête, pour ne pas me faire plaindre. Je ne veux pas qu'on s'appitoie sur mon sort. Je suis forte. On ne me verra pas vulnérable. Jamais. Même si je suis seule dans mon secret trop lourd à porter. Vous ne me verrez pas m'effondrer. Sauf à la fin. Et alors, vous saurez tout.